Mémoire au Comité permanent des finances de la Chambre des communes

Consultations prébudgétaires

Présenté par :

L’Alliance féministe pour l’action internationale (AFAI)

Le 12 août 2011

L’AFAI a des compétences et de l’expérience dans l’analyse des politiques et tendances économiques et leurs effets différents sur les femmes et sur les hommes au Canada. L’AFAI a témoigné devant le Comité des finances par le passé et a présenté des mémoires et des analyses sur les budgets fédéraux depuis 1994.

Nous demandons à témoigner devant le Comité permanent afin de décrire comment assurer une reprise économique soutenue au Canada de manière à inclure sur un pied d’égalité les femmes et les hommes.

Veuillez agréer mes salutations distinguées.

 

Résumé

La hausse de l’emploi des femmes dans les pays développés a davantage contribué à la croissance du PIB que la hausse combinée des économies de la Chine et de l’Inde[1]. Les femmes sont l’économie émergente. Une reprise économique soutenue doit tenir compte des rôles distincts des femmes et des hommes dans l’économie et de l’incidence distincte de la crise et des stratégies de reprise sur les femmes et sur les hommes. C’est logique du point de vue budgétaire, mais c’est aussi une bonne politique publique. Le budget peut favoriser une reprise économique soutenue en faisant en sorte que les femmes puissent participer pleinement à la vie économique et sociale du Canada, c’est-à-dire en éliminant les grands obstacles à cette participation : l’écart salarial entre les hommes et les femmes; la pénurie de places dans des garderies abordables et sûres pour les parents qui travaillent; et les incidences personnelles, sociales et économiques dévastatrices de la violence contre les femmes. Le budget peut y parvenir par les moyens suivants :

  • Prendre des mesures proactives pour assurer le bien-être économique des femmes, y compris exiger la parité salariale pour des fonctions équivalentes et veiller à ce que les femmes partagent pleinement les emplois rémunérés;
  • Financer un régime national de garde des enfants qui accroît le nombre places dans des garderies abordables et sûres au Canada en fonction de la hausse de la demande;
  • Accroître le financement des services qui aident les femmes victimes de violence et des organisations qui s’efforcent de trouver des solutions de politique publique à la violence contre les femmes.

Programmes reliés aux recommandations

Coût fédéral estimé (en milliers de dollars)

Hausse estimée des revenus fédéraux (en milliers de dollars)

 

Places dans des garderies sûres, abordables et accessibles

5 000[2]

2 200[3]

0,17 % de croissance du PIB par année[4]

Commission de l’équité salariale

10[5]

28[6]

Transferts aux provinces afin de réduire la pauvreté

1 800[7]

13 950[8]

Recherches, politiques et programmes afin de mettre fin à la violence contre les femmes

76,6[9]

7 66,7[10]


I. Les femmes travaillent pour le Canada

Les femmes font partie de la main-d’œuvre. La hausse de l’emploi des femmes dans les pays développés a davantage contribué à la croissance du PIB que la progression combinée des économies de la Chine et de l’Inde[11] . Pourtant les économistes ont démontré que les femmes demeurent les amortisseurs en cas de crise économique[12] . Les femmes assurent une plus grande part du travail non rémunéré et leurs assises dans le secteur rémunéré se fragilisent de plus en plus. Les Canadiennes ont compté parmi les premières à retourner dans la population active après une récession, mais ce retour rapide ne se traduit pas par un mieux-être ou une stabilité économique accrue pour les Canadiennes, dont le revenu moyen se situe à 31 949 $, comparativement à 51 043 $ pour les hommes[13] . Les Canadiennes continuent d’être affligées par l’un des écarts entre les sexes les plus prononcés parmi les pays membres de l’OCDE, puisqu’elles gagnent 23 % de moins que leurs homologues masculins[14] . De plus 26,9 % des femmes, comparativement à 11,9 % des hommes travaillent à temps partiel[15] ; 40,4 % des femmes ont un revenu si bas qu’elles ne profitent pas des baisses d’impôt[16] ; 6,5 % des femmes, comparativement à 6,9 % des hommes, sont au chômage, mais seulement 33 % des chômeuses ont droit à l’assurance-emploi comparativement à 44 % des chômeurs.

Le pourcentage de Canadiennes qui vivent sous le seuil de faible revenu après impôt (SFR) est plus élevé que celui de la population en général, et nettement plus élevé pour les femmes autochtones, handicapées et membres de minorités ethniques[17] . Les taux du SFR pour les familles monoparentales ayant à leur tête une femme sont trois fois plus élevés que ceux des familles monoparentales ayant à leur tête un homme[18] . L’incapacité de lutter contre la pauvreté se caractérise par l’incapacité d’assurer un niveau minimum de bien-être à tous les Canadiens et elle rend aussi les femmes et les enfants vulnérables à la violence, ce qui, à son tour, nuit à la croissance économique à cause des pertes de productivité et des coûts en santé et en services sociaux. En outre, des recherches sur la pauvreté menées en Nouvelle-Écosse démontrent que ne pas s’attaquer aux racines de la pauvreté coûte de 5 à 7 % du PIB de la province et de 6 à 8 % du budget provincial[19] .

Les travailleuses peuvent contribuer à une reprise économique soutenue, mais pour ce faire, le budget doit :

  • Prendre des mesures proactives pour assurer le bien-être économique des femmes, y compris exiger la parité salariale pour des fonctions équivalentes et veiller à ce que les femmes partagent pleinement les emplois rémunérés.

II. Des services de garderie sûrs pour un avenir durable

Les travailleuses sont confrontées à d’autres difficultés. Les deux tiers des mères d’enfants de moins de six ans ont un emploi rémunéré[20] . Ces femmes font aussi les deux tiers du travail non rémunéré[21] . Leur participation à l’économie est entravée par le manque de services de garde abordables et accessibles. Le Canada a le plus faible taux d’accès aux services de garderie du monde industrialisé et moins de 20 % des places de garderie existantes sont des places dans des services réglementés[22] . Les avantages économiques et sociaux d’un programme de garderies public et subventionné sont bien documentés[23] . Investir dans les services de garde donne aux parents un meilleur accès au marché du travail et accroît les emplois dans le secteur. De plus, une étude récente du système québécois a démontré que l’investissement direct du gouvernement dans les garderies est recouvré sous forme de hausses des revenus du gouvernement fournis par les familles qui profitent des services de garderie, de participation accrue au travail rémunéré et d’une hausse des dépenses[24] . L’auteur de cette étude, l’économiste Pierre Fortin, évalue que le programme de garderies a accru le PIB du Québec de 1,7 %.

Les parents qui travaillent peuvent contribuer à une reprise économique soutenue, mais pour ce faire, le budget doit :

  • Financer un régime national de garde des enfants qui accroît le nombre places dans des garderies abordables et sûres au Canada afin de répondre à la demande .

III. Investir dans la sécurité des femmes

La sécurité personnelle est une condition préalable essentielle pour le bien-être et la productivité. Malgré les signes que certaines formes de violence contre les femmes diminuent, pour de nombreux groupes de femmes, la violence reste endémique. La moitié des Canadiennes de plus de 16 ans rapportent avoir subi la violence d’un partenaire intime à un moment donné de leur vie[25] . Les filles risquent elles aussi une agression sexuelle à la maison et ailleurs. D’après les signalements à la police, plus de la moitié (59 %) des victimes d’agression sexuelle avaient moins de 18 ans et 82 % de ces victimes sont des filles[26] .

L’Organisation mondiale de la santé et d’autres organismes nationaux de la santé, dont Santé Canada et les Centers for Disease Control ont démontré que la violence contre les femmes a une grande incidence sur l’économie[27] . Les Centers for Disease Control évaluent que les coûts des viols par un partenaire intime, des agressions physiques et du harcèlement dépassent 5,8 milliards de dollars par année aux États-Unis[28] . Le pourcentage équivalent du PIB canadien laisse croire que les coûts annuels au Canada seraient de 766 749 244 $ en 2010.

Alors que les femmes et les filles au Canada continuent de voir leur sécurité et leur bien-être menacés, les organisations qui donnent à ces femmes et à ces filles la possibilité d’exprimer leurs inquiétudes ont été éliminées ou baillonnées par de nouvelles règles sur le financement. De 2006 à 2008, le mot « égalité » a été supprimé du mandat de Condition féminine Canada, le budget de CFC a été amputé de 43 %, 12 des 16 bureaux régionaux ont été fermés et environ la moitié du personnel a été mis à pied. Les critères du financement de Condition féminine Canada ont été modifiés afin d’éliminer l’appui à la recherche et à la défense des intérêts des femmes. Le budget 2010 a affecté 30,5 millions de dollars à Condition féminine Canada. Cela représente un budget de seulement 1,78 $ par femme et fille au Canada afin de promouvoir l’égalité des femmes et d’éliminer les obstacles à la participation des femmes dans la société, en insistant tout particulièrement sur un accroissement de la sécurité économique des femmes et l’élimination de la violence contre les femmes[29] .

Pour réduire les coûts personnels, sociaux et économiques de la violence contre les femmes, le budget doit :

  • Accroître le financement des services qui aident les femmes victimes de violence et des organisations qui s’efforcent de trouver des solutions de politique publique à la violence contre les femmes .

Notes :



[1] « The Importance Of Sex ». The Economist (2006), vol. 378, n° 8473.

[2] D’après les estimations fournies pour le régime national de service de garde des enfants proposé en 2006.>

[3]D’après le rendement calculé de 44 % pour le gouvernement fédéral par dollar investi dans le programme provincial du Québec; Laurie Monsebraaten. « Quebec’s Child Care Pays for Itself, Economist Says », Toronto Star, 22 juin2011.

[4] D’après les estimations de croissance du PIB du Québec de 1,7 % sur dix ans découlant de la hausse de la participation des femmes après la mise en place du programme de garderies subventionnées; Laurie Monsebraaten. « Quebec’s Child Care Pays for Itself, Economist Says », Toronto Star, 22 juin 2011.

[5] Centre canadien de politiques alternatives. « Figure 11, Liste des programmes de l’ABGF (mil. de $) ». Alternative budgétaire pour le gouvernement fédéral 2011 ». Centre canadien de politiques alternatives, 2011.

[6] Calcul du revenu supplémentaire tiré de l’impôt sur le revenu des particuliers découlant d’une hausse de 23 % du revenu d’emploi des femmes. Agence du revenu du Canada. Statistiques sur le revenu. Tableau 4 : données provisoires universelles, Toutes les déclarations selon l’âge et le sexe, Année d’imposition 2009 ». Gouvernement du Canada, 2011.

[7] Centre canadien de politiques alternatives. « Figure 11, Liste des programmes de l’ABGF (mil. de $) ». Alternative budgétaire pour le gouvernement fédéral 2011 ». Centre canadien de politiques alternatives, 2011.

[8] D’après l’estimation d’un manque à gagner de 6 % lié au coût de la pauvreté; Angella MacEwen et Christine Saulnier, The Cost of Poverty in Nova Scotia, Halifax, Canadian Centre for Policy Alternatives-Nova Scotia, 2010.

[9] Calculé comme le dixième du coût de l’inaction face à la violence contre les femmes sur le PIB; Preventing Intimate Partner and Sexual Violence Against Women: Taking Action and Generating Evidence. Genève, Organisation mondiale de la santé, 2010; Costs of Intimate Partner Violence Against Women in the United States. Centers for Disease Control and Prevention, 2003.

[10] Preventing Intimate Partner and Sexual Violence Against Women: Taking Action and Generating Evidence. Genève, Organisation mondiale de la santé, 2010; Costs of Intimate Partner Violence Against Women in the United States. Centers for Disease Control and Prevention, 2003.

[11] « The Importance Of Sex ». The Economist (2006), vol. 378, n° 8473.

[12] Caroline Sweetman et Richard King, Gender Perspectives on the Global Economic Crisis. Oxfam International, 2010.

[13] Statistiques sur le revenu. Tableau 4 : données provisoires universelles, Toutes les déclarations selon l’âge et le sexe, Année d’imposition 2008 », Agence du revenu du Canada, 2010.

[14] OCDE, Gender Pay Gaps For Full-Time Workers And Earnings Differentials By Educational Attainment. OCDE, Division de la politique sociale, Direction de l’emploi, du travail et des affaires sociales, 2010. http://www.oecd. org/dataoecd/29/63/38752746.pdf.

[15] Statistique Canada, « Travail rémunéré ». Femmes au Canada : rapport statistique fondé sur le sexe. Gouvernement du Canada, 2010.

[16] Statistiques sur le revenu. Tableau 4 : données provisoires universelles, Toutes les déclarations selon l’âge et le sexe, Année d’imposition 2008 », Agence du revenu du Canada, 2010.

[17] Statistique Canada, « Bien-être économique ». Femmes au Canada : rapport statistique fondé sur le sexe. Gouvernement du Canada, 2010.

[18] Statistique Canada, « Bien-être économique ». Femmes au Canada : rapport statistique fondé sur le sexe. Gouvernement du Canada, 2010.

[19] Angella MacEwen et Christine Saulnier, The Cost of Poverty in Nova Scotia, Canadian Centre for Policy Alternatives-Nova Scotia, 2010.

[20] Statistique Canada, « Travail rémunéré ». Femmes au Canada : rapport statistique fondé sur le sexe. Gouvernement du Canada, 2010.

[21] « Enquête sociale générale : Travail rémunéré et non rémunéré ». Le quotidien, Statistique Canada, 19 juillet 2006

[22] Erika Shaker, éd. Beyond Child’s Play: Caring For and Educating Young Children in Canada. Centre canadien de politiques alternatives, 2009.

[23] Erika Shaker, éd. Beyond Child’s Play: Caring For and Educating Young Children in Canada. Centre canadien de politiques alternatives, 2009; Gordon Cleveland, Is Child Care A Good Public Investment? Toronto, Child Care Resource and Research Unit Briefing Notes, 2003.

[24] Laurie Monsebraaten. « Quebec’s Child Care Pays for Itself, Economist Says ». Toronto Star, 22 juin 2011.

[25] Statistique Canada, « Les femmes et le système de justice pénale ». Femmes au Canada : rapport statistique fondé sur le sexe. Gouvernement du Canada, 2010; « Perspectives sur la santé des femmes ». Dans La santé au Canada : un héritage à faire fructifier - Volume II - Rapports de synthèse et documents de référence. Santé Canada. http://www.hc-sc.gc.ca/hcs-sss/pubs/renewal-renouv/1997-nfoh-fnss-v2/legacy_heritage8-eng.php

[26] Statistique Canada. Les enfants et les jeunes victimes de crimes violents déclarés par la police. Gouvernement du Canada, 2010;

Statistique Canada. Les agressions sexuelles au Canada, 2004 et 2007. Gouvernement du Canada, 2008.

[27] Preventing Intimate Partner and Sexual Violence Against Women: Taking Action and Generating Evidence. Organisation mondiale de la santé, 2010.

[28] Costs of Intimate Partner Violence Against Women in the United States. Centers for Disease Control and Prevention, 2003.

[29] Kathleen Lahey. « Women, Substantive Equality, and Fiscal Policy: Gender-Based Analysis of Taxes, Benefits, and Budgets ». Canadian Journal of Women and the Law, volume 22, numéro 1, 2010. [chiffres mi à jour en fonction du budget fédéral 2010 et des estimations de la population en 2011 de Statistique Canada].